Après un coup de buzz sur les réseaux sociaux en septembre, l’équipe de Bretagne de football semble bien pouvoir renaître. Un match est prévu en juin 2023, soit dix ans après le dernier et plus de cent ans après le premier, qui avait eu lieu en 1922, face au Luxembourg. Le magazine "Bretons" fait le récit d’un siècle d’une histoire tourmentée.
La relance de Jérémy Gélin pour Jordan Veretout qui transmet le ballon à son capitaine, Jérémy Livolant. Le Guingampais centre pour son partenaire de club Gaëtan Courtet, qui remise de la tête vers le Brestois Jérémy Le Douaron et c’est le buuuut ! Dans un stade du Moustoir remonté à bloc depuis qu’a retenti le Bro gozh ma zadoù en avant-match, la sélection de Bretagne de football ouvre le score face à l’équipe d’Irlande, son voisin celte qu’elle accueille pour la première fois en ce jour historique.
Nous sommes le samedi 10 juin 2023 et Bretagne football association (BFA) a réussi son pari : organiser la plus belle des affiches possibles pour le retour de la sélection bretonne, dix ans après son dernier match. Voilà pour le scénario de rêve. Reste à le concrétiser pour Bretagne Football Association (BFA), structure organisationnelle de l’équipe de Bretagne. Mais d’ici à ce que cette rencontre – ou une autre du même acabit – se concrétise, il reste beaucoup d’obstacles à surmonter, assure Fañch Gaume, président de BFA.
"Si le dernier match de l’équipe de Bretagne remonte à une décennie, ce n’est pas par manque de volonté mais parce que c’est difficile à organiser, coincés que nous sommes entre les exigences des clubs et des équipes nationales. Il faut se faufiler pour trouver un créneau dans le calendrier, un adversaire qui accepte de nous jouer et un lieu pour accueillir la rencontre. Avec, en prime, un budget à boucler et des assurances à obtenir pour les joueurs retenus. C’est un puzzle !" Un défi difficile mais qui en vaut la peine, pour une équipe bretonne dont les origines sont centenaires.
26 matches dans les années 1930
C’est en 1922 qu’un premier match entre joueurs bretons et une sélection nationale s’est déroulé. C’était le 12 mars 1922 très exactement, au parc des sports de Rennes, ancêtre du Roazhon Park, avec la réception du Luxembourg. "Par un temps idéal et devant 7 000 spectateurs", comme le raconte alors le compte rendu du journal L’Ouest-Éclair, les visiteurs sont battus 2-0 par une équipe adverse composée de joueurs du Stade Rennais UC, de l’US Saint-Servan, du Stade Quimpérois et de l’Armoricaine de Brest, ce qui se fait de mieux à l’époque comme clubs bretons.
Mais cette formation n’est alors pas exactement présentée comme la sélection bretonne, fait remarquer l’historien du sport breton François Prigent : "Il s’agit de la sélection de la Ligue de l’Ouest de football association, Lofa, ancêtre de l’équipe de Bretagne de football actuelle. Une première sélection de la Ligue de l’Ouest dans le mouvement laïque avait même vu le jour avant-guerre, avec un premier match disputé le 8 janvier 1911 contre une sélection de Paris – victoire 3-1.
Cette Ligue de l’Ouest première du nom, va ensuite renaître en 1918, issue de la réunion de l’Union des sociétés françaises de sports athlétiques et de la Fédération gymnastique et sportive des patronages de France, avec un premier match encore contre une sélection parisienne le 18 avril 1920 – défaite 3-5 – et cette rencontre historique face au Luxembourg en 1922".
Un tournoi interceltique
Un adversaire que cette équipe de Bretagne élargie au Maine-et-Loire (la séparation n’aura lieu qu’en 1967, à une date où la Bretagne footballistique sera également amputée de la Loire-Atlantique…) va affronter à trois autres occasions entre 1923 et 1925. En novembre 1923, une rencontre face à la Norvège est aussi mise en place. Au total, vingt-six matches sont disputés par la Lofa durant l’entre-deux-guerres, essentiellement contre d’autres sélections régionales.
Il faut ensuite attendre l’année 1972 pour que renaisse la volonté de fonder une véritable équipe de Bretagne de football. "C’était le souhait des organisateurs de la Fête des cornemuses à Lorient, aujourd’hui connue sous le nom de Festival Interceltique", fait savoir François Prigent. Le contexte est alors aux revendications militantes et la Bretagne, en plus de réaffirmer sa langue et sa culture, entend bien faire parler d’elle sportivement.
L’année précédente, le Stade Rennais a remporté sa deuxième Coupe de France. Mais la formation rennaise, tout comme le rival nantais, refuse de libérer leurs joueurs en ce 1er août 1972, et le match Bretagne – Écosse espéré se transforme en une rencontre amicale entre un FC Lorient renforcé et la formation écossaise de Falkirk, qui compte dans ses rangs un certain Alex Ferguson (futur entraîneur légendaire de Manchester United) et qui l’emporte 2-1.
Bretagne-États-Unis
Six ans plus tard, à l’été 1978, c’est le club de Guingamp cette fois, qui est organisateur d’une rencontre de prestige face à l’équipe de France espoirs. Le 14 août, au stade Yves-Jaguin de Guingamp, les jeunes Bleus l’emportent 3-1 face à une sélection bretonne composée majoritairement de joueurs de l’En Avant, promus en D2 un an auparavant (Stéphan, Gourcuff…), mais aussi d’autres éléments comme le jeune Brestois Yvon Le Roux, futur international français.
Le 8 mars 1982, une association baptisée Araok Vreizh est créée dans l’optique d’organiser des rencontres entre la Bretagne et ses voisins gallois et irlandais, mais le tournoi interceltique espéré n’aura pas lieu. La faute, notamment, au veto de la Fédération française de football (FFF), malgré l’engagement de quelques pointures, dont les joueurs Patrick Delamontagne et Pierrick Hiard, ainsi que l’entraîneur Michel Le Milinaire. Un match face à la Suisse est également annulé en 1985.
Il faut attendre la fin d’année 1988 pour qu’une équipe de Bretagne parvienne de nouveau à disputer une rencontre internationale face aux États-Unis, à Brest et dans un format en salle inhabituel. Qu’importe, cette équipe de Bretagne de futsal a fière allure et, grâce à un triplé de Philippe Tibeuf, un doublé de Patrick Colleter et un but de Joël Cloarec, elle l’emporte 6-2.
Les Diables Noirs
Mais encore une fois, cet évènement n’a pas de suite. Pour que perdure l’idée d’une équipe, il faut une structure gestionnaire, ce qui n’est ni le rôle des clubs ni celui de la Ligue de Bretagne de football, organe dépendant directement de la FFF. C’est ainsi que, en 1997, BFA voit enfin le jour et réussit dès l’année suivante, le 21 mai 1998, à organiser un match face au grand Cameroun, alors en pleine préparation de la Coupe du monde en France. La FFF donne son accord et BFA obtient du Stade Rennais que la rencontre soit disputée dans son enceinte de la Route-de-Lorient.
Directeur des sports de Canal +, le Breton Charles Biétry arrive à convaincre son employeur de diffuser en prime time ce match entre les Lions Indomptables et ceux qu’on appelle les Diables Noirs. La formation bretonne a fière allure dans sa tunique rayée blanc et noir confectionnée par l’équipementier Umbro (Heurtebis, Laspalles, David, Brinquin, Le Guen, Michel, Viaud, Pédron, Le Roux, Rouxel, André). Elle parvient à accrocher le match nul 1-1, Lionel Rouxel répondant au but de François Omam-Biyik, le capitaine camerounais.
La FFF freine
BFA décide à cette occasion de clarifier ses critères de sélection. Tous les joueurs nés dans les cinq départements bretons, ou d’ascendance parentale ou grand-parentale provenant de ces départements, ou installés en Bretagne avant l’âge de 3 ans sont sélectionnables. La sélection n’a aucun caractère obligatoire et n’est pas incompatible avec une sélection en équipe de France. Cette sélection repose sur la base du volontariat et du bon vouloir à la fois des clubs, auxquels appartiennent les joueurs convoqués, et de la FFF, qui ne voit pas forcément d’un bon œil le développement d’une sélection alternative aux Bleus sur le sol français…
C’est ainsi qu’en 2001, une rencontre prévue de longue date face à Cuba est annulée au dernier moment sur décision de Gérard Énault, directeur général de la FFF. Deux ans plus tard, même déconvenue avec l’annulation d’un match face à la Nouvelle-Zélande. BFA parvient néanmoins à organiser quelques rencontres (victoire 3-1 à Saint-Brieuc face à la République du Congo en mars 2008, défaite 1-0 à Saint-Nazaire face à la Guinée-Équatoriale en juin 2011, victoire 1-0 à Carquefou face au Mali le 28 mai 2013), mais sans réussir pour l’instant à installer durablement ce rendez-vous au calendrier.
Un match en juin 2023 ?
Il a donc fallu attendre près d’une décennie après ce dernier match international face au Mali pour que, de nouveau, l’idée d’un retour de l’équipe de Bretagne fasse son chemin. Et ce n’est cette fois pas BFA qui en est directement à l’origine, mais Pierre-Alain Pérennou. Le 25 septembre, ce jeune journaliste et influenceur lançait l’idée sur Twitter. En quelques jours, son pari de voir son message relayé plus de mille fois sur le réseau social cher à Elon Musk était allègrement atteint, à son grand étonnement.
"Dans ces proportions, je ne m’y attendais pas, même si on connaît la capacité de mobilisation des Bretons", s’amuse le Nantais, ancien gardien de but du FC Penn ar Bed de Plogoff, de la Stella-Maris de Douarnenez (Finistère) et de l’Union sportive des Bretons de Paris. "Mon annonce a été relayée par des joueurs comme Romain Thomas [joueur de Caen originaire de Landerneau] et des dirigeants comme Loïc Féry [président du FC Lorient] et des anonymes se sont proposés pour filer un coup de main dans l’organisation du match."
Pierre-Alain Pérennou a aussi été contacté par BFA qui, dès le 27 septembre, annonçait officiellement sa volonté d’organiser un match international de l’équipe de Bretagne à l’issue de la dernière journée de Ligue 1, programmé le samedi 3 juin 2023. "C’est le seul créneau possible entre la fin de saison et les vacances des joueurs. On s’est mis en chantier pour trouver un lieu, un adversaire, trouver le budget et solliciter les joueurs. On devrait pouvoir communiquer sur de premiers éléments début 2023", promet Fañch Gaume.
"On va travailler ensemble, main dans la main", abonde Pierre-Alain Pérennou. "L’idée, c’est de refonder l’équipe de Bretagne sur du solide, pour durer au-delà de 2023 si possible."