Condamné le 16 mai à cinq ans de prison, dont trois ferme, pour violence avec arme, l'ancien attaquant Tony Vairelles a fait appel de cette décision. Et clame son innocence.
Dix ans de silence, ou presque. Entre la fusillade à la sortie de la boîte de nuit « Le 4 As », où des videurs furent touchés, et le procès en correctionnelle qui l'a condamné en avril à cinq ans de prison dont trois ferme pour violence avec armes, Tony Vairelles s'était astreint à ne pas évoquer l'affaire qui a aussi mis en cause ses trois frères. L'ancien attaquant (49 ans), qui a fait appel du jugement, préparait un livre, Balles au Centre (aux éditions Hugo Sport). Mercredi midi, à Paris, affable et bavard, il a répondu à nos questions une heure durant. L'ex-international ne crie pas son innocence ; il l'argumente. Il a aussi les yeux qui se mouillent quand il est question de son père qui a toujours occupé une place centrale dans le clan. Le procès en appel pourrait se tenir l'an prochain.
Vous imaginez-vous retourner en prison, si l'appel n'est pas en votre faveur ?
Rationnellement non. C'est inconcevable. Mon procès n'est pas rationnel. Ça n'arrive nulle part. Une cassette des enfoirés dans le magnétoscope de la vidéosurveillance ? C'est Vidéo Gag ! Sauf qu'on joue nos vies. Ça suffit, on a assez souffert.
Plein de trucs se contredisent. L'injustice, ça m'a toujours insupporté
L'affaire date de plus de dix ans et va donc durer peut-être encore deux ans...
C'est long et épuisant, quand on voit le résultat, frustrant. On attend cette fin, ce coup de sifflet final. C'est exactement comme ce match à Wembley (un match de Ligue des champions remporté 1-0 par Lens contre Arsenal, en novembre 1998) où tout est beau, tout est rose, où on mène, et je reçois ce carton rouge à la dernière minute, où je n'ai rien fait. T'as les preuves en vidéo et pourtant tu es suspendu le match d'après... Là, dans mon affaire c'est l'inverse, la vidéo n'existe plus (la vidéosurveillance de la discothèque). À l'intérieur, on retrouve au bout de plusieurs heures une cassette avec le concert des enfoirés. Si le travail avait été bien fait, on aurait eu un élément qui nous aurait tous mis d'accord. Tout ça, j'en suis certain, parce qu'une cassette a été subtilisée. C'est trop confus pour être plausible. Plein de trucs se contredisent. L'injustice, ça m'a toujours insupporté. Les arbitres savaient que je ne tombais jamais. Un jour, il y en a un qui m'a dit : "Monsieur Vairelles, y'a faute, mais je ne peux pas siffler, vous ne tombez pas".
Ces dix dernières années, vous aviez préféré ne pas évoquer l'affaire...
Je suis d'un naturel qui aime la discussion, mais je n'avais pas le choix. L'affaire en instruction, je ne voulais pas m'étendre sur le sujet, je ne répondais jamais quand ça entrait trop dans le vif du sujet. Au procès, j'ai eu l'impression de ne pas avoir été entendu, d'avoir soulevé des tas d'interrogations. J'aurais peut-être dû plus m'expliquer. En prison on m'a mis en garde : "Quand tu mets le pied en prison, avant de sortir..." Je n'ai pas toujours eu le sentiment d'être respecté.
Mon fils pensait que j'étais mort. Pendant un mois, il n'a pas eu de nouvelles de son papa.
Il paraît que vous portez souvent un sweat que vous utilisiez en prison (Il a fait cinq mois de préventive). Pourquoi ?
C'est surtout pour bricoler. Je le garde pour me rappeler qu'il ne faut jamais oublier cet instant-là. C'était tellement terrible à vivre. Quand on reprend notre vie normale, on oublie l'enfer qu'on a pu connaître. En fait, c'est encore plus dur après, mais c'est le point de départ. Mon fils, par exemple, pensait que j'étais mort. Pendant un mois, il n'a pas eu de nouvelles de son papa. Je n'avais pas le droit de téléphoner, ma femme lui disait que j'étais en Corse, que j'étais allé voir la maison que j'ai là-bas. À un moment donné, ma femme l'a retrouvé dans la douche en train de pleurer et en train de dire : "Je veux rejoindre papa au paradis".
C'est tout le clan Vairelles qui s'est craquelé, semble-t-il...
Personne n'était bien. La famille a implosé. Il fallait du changement. Je suis parti avec ma femme à Bordeaux où j'avais des biens depuis mon passage là-bas comme joueur. Je retrouvais le soleil, c'était le bon compromis. J'ai remis de l'ordre dans la maison et aussi dans les appartements que je possède. J'ai bossé. J'avais besoin de m'évader, de travailler avec mes mains. Après la prison, plein de choses ont été compliquées. Ça bouscule tout. La vie de mon papa a basculé à partir du moment où ses quatre enfants étaient en prison. Quelque chose s'est brisé en lui, il n'avait plus son côté rationnel. On était tellement admiratifs l'un de l'autre, on avait cette fusion, et là on se comprenait moins. On a eu une période où on s'est moins parlé, ç'a été l'enfer à vivre. Ce n'est pas si facile quand on s'aime, qu'on a des différends et qu'on est meurtri dans sa chair. On a l'impression de n'être compris pas personne. Ni par sa propre famille, ni par la justice. La terre entière semble contre toi. Je n'ai peut-être pas non plus eu les réactions adéquates. Jusque-là, le clan n'avait eu aucune raison d'être fragilisé.
Au vu des relations claniques de votre famille, comprenez-vous qu'il soit difficile d'imaginer que votre père n'était pas là, la nuit de la fusillade, lorsque vous êtes venu récupérer vos deux cadets en compagnie de votre autre frère Guy, à la suite de leur appel à l'aide ?
À l'époque, mon père a bien plus de soixante ans. Aucun d'entre nous n'aurait eu l'idée de l'appeler. On pose la question dans le mauvais sens. On se retrouve sur ce parking par un incroyable concours de circonstances. J'avais déjà récupéré les petits, on se comprend mal avec mon frère qui est dans une autre voiture dont la vitre se baisse pas, et il avance vers la boîte, donc je le suis. On entend toujours les mêmes choses : "Y a pas de fumée sans feu". Ça fait mal. Nous, on ne demande qu'à prouver notre innocence. L'enquête a oublié des tas d'éléments qui vont dans notre sens. On a été condamnés au bénéfice du doute, c'est ça qui est flippant. J'ai toujours entendu que contrairement à la justice américaine, en France, c'était au Ministère public de prouver la culpabilité.
Les videurs avaient tellement d'ennemis... Quelqu'un qui avait eu des problèmes avec ces personnes-là devait être sur le parking et en a profité pour se faire justice.
Quelle est votre hypothèse ?
On a cherché, on a essayé de se renseigner, on s'est creusé la tête. Mon père a tenté d'enquêter. Ces videurs-là avaient tellement d'histoires, faisaient l'objet de tellement de plaintes... Mon frère lève les bras en l'air pour dire : "Arrêtez de me taper". Et les videurs continuent de le massacrer. Ils avaient tellement d'ennemis... Quelqu'un qui avait eu des problèmes avec ces personnes-là devait être sur le parking et en a profité pour se faire justice. Je n'avais aucune raison d'en vouloir à qui que ce soit, je venais juste récupérer mes frères. Je ne venais pas leur faire justice, je ne savais même pas ce qui s'était passé. Au téléphone, il avait juste baragouiné. À ce moment, je ne sais pas que quatre golgoths ont massacré mon frère. La police était persuadée par la version des vigiles, qui a souvent changé. Aujourd'hui, elle l'est moins. La justice dit qu'il n'y a qu'une arme et plusieurs tireurs, et voudrait faire croire, qu'une arme aux mains de mon frère est tombée par terre et que je l'aurais ramassée. C'est fou. Et ça passe.
Au cours du procès, l'un de vos avocats, le bâtonnier Berna a suggéré l'hypothèse selon laquelle votre père aurait pu être sur place sans que vous et vos frères ne soyez au courant...
Me Berna avait dû demander à ma mère d'aller sur ce terrain. Elle lui avait raconté que mon père était prêt à se sacrifier à tort pour nous, quelques semaines avant qu'il ne parte (il est décédé juste avant le procès). On nous croit ou pas : mon père n'était pas sur le parking ce soir-là, il était dans son lit. Il savait ses fils innocents, il était hors de question qu'ils aillent en prison. Pour être précis : il a juste demandé à ma maman si elle accepterait qu'il fasse quelque chose pour leurs enfants (Tony se met à pleurer).
La famille, c'est votre valeur première.
Ça nous a fait du mal à tous, et on s'est fait du mal entre nous, alors qu'on avait tous de bonnes intentions. On n'était pas d'accord sur une avocate et sur une stratégie qui fonçait trop dans le tas. Tout s'est enchaîné. Mon mariage avec Audrey devait être la grande réconciliation, et puis, pour une petite prise de bec, c'est parti en vrille. Tout le monde était à fleur de peau. Il y avait un malaise. Je ne pouvais plus vivre à 500 mètres de mon père. C'est pour ça que j'ai pris le chemin de Bordeaux. Mon papa a toujours été notre super héros. Il a dû se sentir tellement impuissant. Ça a dû le briser, le déchirer.
Ce n'est pas possible que j'aie fait un truc comme ça. C'est abominable qu'on puisse me soupçonner de ça
Charger votre père aurait-il pu vous permettre de vous en sortir ?
C'était la solution facile, c'était hors de question.
Cela vous a-t-il déplu que votre avocat s'aventure sur ce terrain ?
On a vite compris, on n'est pas des pros, s'il l'a fait, il savait pourquoi. Je ne voulais surtout pas que la mémoire de mon père soit salie. S'il avait été présent, il aurait été le premier à le dire, il n'aurait jamais pu laisser ses enfants en prison. Ce serait manquer de respect que de penser autrement.
Au début de l'affaire, pendant quatre à cinq mois, avec votre mère, votre père va faire la tournée des quatre prisons où sont incarcérés ses enfants.
C'était dur aussi. À cause des parloirs. On n'en avait que trois par semaine, limités à quatre personnes. Parfois, Audrey voulait être seule avec moi ou avec notre fils. S'il y avait trop de monde, il avait l'impression que je ne m'occupais pas de lui. Je le revois encore jouer seul dans son coin, alors qu'on ne parlait tous que de l'affaire. Il aurait dû être sur mes genoux.
Ce procès a parfois été présenté comme celui des videurs siciliens contre des gitans, avec tous les fantasmes ou la filmographie que ça peut véhiculer. Pensez-vous que cela vous a desservi ?
Le papa biologique de Maman est gitan. Mon père n'est pas gitan et n'a jamais vécu en caravane. Si cela avait été le cas, je l'aurais assumé. Ce n'est pas que j'assume ou que je n'assume pas. Je ne peux pas me revendiquer gitan, je ne vis pas comme eux, ce n'est pas ma culture de vie. Mon père vivait à Tomblaine (Meuthe-et-Moselle) où il y avait beaucoup de gitans. Il savait se faire respecter. Ce qui est dingue aussi dans cette histoire, c'est que mon père était aussi videur de boîte de nuit au « Nashville ». Il ne faisait jamais de délit de faciès. Rien ne me gêne. Sauf qu'on dise "Tony le gitan", parce qu'il y a cette affaire.
On dit aussi Tony Truand...
C'est une vieille expression qui vient de "tonitruant". Lors de mon premier match, en pro, contre le PSG (en janvier 1992), je sortais de Division d'Honneur (R1), et je m'en suis si bien sorti que la télé locale a diffusé une petite séquence où ils m'ont appelé comme ça parce que je courais partout. Et maintenant ça ressort. Mais le "Tonytruant" ne s'est pas transformé en Tony Truand. Ce n'est pas possible que j'aie fait un truc comme ça. C'est abominable qu'on puisse me soupçonner de ça. C'est horrible de supporter ça depuis dix ans. »