Grâce à un doublé contre Lens et un but et une passe décisive au Havre, Romain Del Castillo est le tube de l’été en Ligue 1. Talent trop souvent bridé par les blessures ou la concurrence dans ses différents clubs, le gaucher a trouvé ses marques à Brest. Entretien avec un crack qui n’oubliera jamais ses entraînements avec Farès Bahlouli.
Comment expliques-tu l’excellent début de saison brestois ?
Après notre entame ratée l’an dernier, on avait à cœur de bien mieux démarrer. Le groupe se connaît depuis plusieurs années, donc ça a facilité le travail cet été. Certains clubs accumulent les transferts et il y a un temps d’adaptation obligatoire au début de saison. Ici, ce n’est pas le cas. On a peut-être besoin de recrues, mais je préfère conserver la colonne vertébrale. Même si Franck Honorat, Haris Belkebla et Jean-Kévin Duverne sont partis, le fait d’avoir la même ossature chaque année permet d’éviter un retard à l’allumage.
Éric Roy n’avait plus entraîné depuis plus de dix ans avant d’arriver à Brest. Est-ce que ça s’est ressenti ?
Non, pas du tout ! Je suis sûr qu’il a beaucoup travaillé avant de venir, pour être prêt dès le départ. Il est arrivé tranquillement, sans faire de fracas, il a pris ses marques, et tout s’est fait naturellement.
Qu’est-ce qu’il a apporté à un groupe alors dans la zone rouge ?
Beaucoup de confiance, et on en manquait énormément ! On avait de très bons joueurs, mais qui n’étaient pas assez en confiance. Au niveau psychologique, on a vu que quand la tête allait, tout suivait. Aujourd’hui, le coach me fait pleinement confiance, je pense que ça se ressent sur le terrain. Même si j’étais déjà un cadre l’an dernier, le départ de Franck (Honorat) doit me faire passer un cap.
Je préfère jouer toutes les semaines plutôt que regarder des matchs de coupe d’Europe sur le banc.
Vous avez longtemps été à la lutte pour le maintien la saison passée. Après avoir connu l’Europe avec Rennes, ce n’est pas frustrant pour toi de jouer le bas de tableau ?
À Rennes, je me suis heurté à une trop grande concurrence, donc j’étais surtout frustré de ne pas avoir de temps de jeu. Je préfère jouer toutes les semaines plutôt que regarder des matchs de coupe d’Europe sur le banc. À Brest, j’enchaîne les matchs, donc il n’y a jamais eu de frustration de descendre d’un cran en Ligue 1. Avant ça, quand j’étais à l’OL, j’avais été prêté à Bourg-en-Bresse, puis Nîmes, pour prendre ce temps de jeu.
En 2021, tu es arrivé dans le Finistère le dernier jour du mercato. C’est un transfert qui s’est fait dans la précipitation ?
Non, je dirais que ça a surtout tardé. Grégory Lorenzi me voulait depuis longtemps, et j’ai hésité de mon côté. À trois heures de la fin du mercato, j’ai enfin pris ma décision et je crois qu’on a signé à la dernière minute. (Rires.)
Tu n’étais pas stressé à l’idée de repartir pour une saison à cirer le banc avec Rennes ?
Je suis plutôt du genre à prendre les choses du bon côté. Je me disais que j’étais à un an de la fin de mon contrat, donc ça aurait toujours été une bonne expérience. Finalement, le projet brestois m’a attiré et m’a permis de jouer plus. Je reste en Bretagne, une région que j’ai appris à connaître, même s’il pleut beaucoup trop par rapport à Lyon.
Depuis ton arrivée à Brest, tu as terminé deux fois meilleur passeur du club, et dans ta carrière, tu as toujours plus passé que marqué. Comment l’expliques-tu ?
Je suis un joueur altruiste, ça c’est sûr. J’ai toujours eu ce goût pour la passe depuis que je suis gamin. J’ai toujours pensé au collectif avant tout. Je suis souvent guidé par le sens du collectif. Même dans la vie, j’adore faire plaisir aux autres, à mes proches ou mes coéquipiers.
Aujourd’hui, c’est le titre de meilleur buteur brestois que tu cherches ?
J’ai déjà battu mon record de buts sur une saison l’an dernier (6 réalisations, NDLR). J’y arrive un peu mieux parce que j’y accorde de l’importance pour aider l’équipe, mais je veux quand même garder mes passes avant tout.
Ça m’énerve d’avoir une étiquette de joueur fragile.
Ton altruisme te pousse à souvent revenir défendre et a provoqué quelques blessures. Est-ce que ce goût de l’effort et du collectif n’a pas freiné ta carrière ?
Ça m’énerve d’avoir une étiquette de joueur fragile. Je pense que je n’ai pas eu de chance, mais je fais tout mon possible de mon côté pour éviter de nouvelles blessures. Ça passe par le renforcement, l’hydratation, l’alimentation, etc. Par contre, il ne faut pas dire à mes coéquipiers que j’aime défendre, sinon ils vont me pousser à tout le temps revenir. (Rires.)
Tu n’as plus dépassé les 30 matchs dans une saison depuis 2017-2018, en Ligue 2. Est-ce que, sans cette inconstance, tu aurais pu être plus haut à 27 ans ?
À Rennes, je n’étais pas régulier et pas assez bon pour me faire une place. Ensuite, les pépins physiques sont arrivés à Brest, avec une pubalgie notamment. Là, c’est plus frustrant, car je suis titulaire et ça me freine considérablement.
Quand je voyais Farès Bahlouli sur le terrain… C’était tellement incroyable, je n’ai jamais vu ça ensuite.
Avant Brest et Rennes, il y a eu l’Olympique lyonnais. C’est un regret de ne pas avoir percé dans ta ville natale ?
Lyon, c’est mon club de cœur. Chez moi, tout le monde est supporter de l’OL, donc il y avait forcément un peu d’attente autour de moi. C’était une fierté indescriptible de rejoindre le centre. Surtout que je n’étais pas destiné à devenir professionnel, je jouais surtout au foot avec mes potes, pour m’amuser avant tout. Ensuite, quand tu en fais partie, c’est sûr que tu veux y jouer le plus longtemps possible. Malheureusement, ça n’a pas été le cas, mais je me dis qu’il y a une bonne raison et que c’est à moi d’apprendre pour réussir ensuite, même si c’est ailleurs.
Tu es issu de la génération 1996 (avec Gaëtan Perrin, Samuel Moutoussamy et Aldo Kalulu entre autres) qui a atteint la finale de Gambardella 2015. Comment tu expliques que, hormis Mouctar Diakhaby, aucun d’entre vous ne se soit fait une place à Lyon ?
On a tous joué quelques matchs en pro, mais on n’a pas vraiment eu notre chance sur la longueur. Même Gaëtan Perrin, qui s’est montré en marquant, n’a pas réussi à se défaire de la concurrence folle. La génération Lacazette-Tolisso n’était pas encore partie et ça ne permettait pas à la nôtre de s’imposer. Je pense qu’on avait la même mentalité, c’est-à-dire jouer à tout prix, donc on est parti en prêt ou définitivement vers des clubs un peu moins huppés pour lancer nos carrières.
Je crois qu’on galère tellement au fil des ans quand on est au centre que lorsque l’un d’entre nous perce en pro, c’est une petite victoire pour toute la génération.
Avant vous, il y a eu la génération d’Anthony Martial et de Farès Bahlouli qui a été surmédiatisée et qui vous a laissés dans l’ombre…
Ils étaient surtout bien plus talentueux que nous et ils ont aussi eu du mal à s’imposer à l’OL. Lors des oppositions le mercredi, ils nous impressionnaient, donc inconsciemment on a dû se dire qu’on avait du retard. Quand je voyais Farès sur le terrain… C’était tellement incroyable, je n’ai jamais vu ça ensuite. Derrière, tu vois qu’il n’a pas de temps de jeu en pro, donc tu prends une claque et tu vas jouer ailleurs.
En équipe de France Espoirs, tu t’es retrouvé avec Mouctar Diakhaby, Houssem Aouar ou Lucas Tousart qui se sont fait une place à l’Olympique lyonnais pendant que tu enchaînais les prêts. Ce n’est pas rageant de voir ça ?
J’en parlais beaucoup avec Mouctar vu qu’on a fait toutes nos classes ensemble depuis le centre de formation. Lucas est arrivé plus tard, et Houssem est plus jeune. Mais, honnêtement, à l’époque, j’étais tellement content pour lui, il n’y avait aucune jalousie ou rancœur. Je crois qu’on galère tellement au fil des ans quand on est au centre que lorsque l’un d’entre nous perce en pro, c’est une petite victoire pour toute la génération.