En 2018, à Rennes, un jeune de 17 ans était arrêté par la DGSI après avoir échafaudé un attentat contre le Stade Rennais.
Notre série : Rennes, nid d'espions
De la Seconde guerre mondiale aux cyberattaques d’aujourd’hui, en passant par les menaces russes et chinoises, Rennes figure depuis 80 ans sur la carte des services secrets. Grâce au Mensuel de Rennes, découvrez neuf affaires d’espionnages véridiques qui sont liées à la capitale bretonne.
Au dernier étage du commissariat de la Tour d’Auvergne, à Rennes, il existe une porte sécurisée dont personne ne peut s’approcher, sauf raison valable. Et encore faut-il être dûment escorté par un fonctionnaire habilité.
Derrière, rien que des bureaux très banals, comme on en trouve à tous les niveaux de l’hôtel de police, pour la plupart mieux équipés que la moyenne. Qu’est-ce qui rend ce secteur aussi sensible ? Son activité. C’est ici que se trouve l’antenne locale de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). À ne pas confondre avec la DGSE, qui opère hors du sol français, la DGSI s’occupe du renseignement sur le territoire hexagonal. Ses compétences recouvrent le contre-espionnage. Mais, aussi, le contre-terrorisme.
Limiers d’élites
À Rennes, le service compte notamment des ex-Renseignements généraux (RG), qui ont fusionné avec la DST en 2008. Habitués à travailler en « source ouverte », au contact du public, en manifs par exemple, aucun de ces impétrants n’était alors habilité « secret-défense ». Il leur a fallu apprendre très vite la discrétion et le principe du « besoin d’en connaître ». Autant de qualités indispensables pour intégrer un service qui ne travaille qu’en circuit fermé. Les antennes locales de la DGSI dépendent directement du directeur central. Lui-même relève du ministre de l‘Intérieur, sans passer par l’échelon du Directeur Général de la Police nationale, comme y sont obligés la plupart de ses homologues.
Combien d’employés évoluent dans ce bocal de béton ? L’information est confidentielle. Le grand public n’entend parler de ces limiers d’élite qu’à l’occasion de rares arrestations médiatisées. C’est le cas, par exemple, du projet d’attentat au Roazhon Park.
Un lycéen dans le collimateur
L’affaire démarre en 2017, quelques jours avant Noël. La France sort de deux ans d’état d’urgence suite aux attaques de Paris. Dans l’esprit des Rennais, le risque terroriste semble pourtant éloigné de leur région. Pas pour la DGSI, qui sait que la capitale bretonne est une cible potentielle. Un an auparavant, en septembre, un exercice grandeur nature a simulé la prise d‘otage de spectateurs au Théâtre national de Bretagne. Après Nice et le 13 novembre, les services de renseignement n’ont qu’une peur : louper le prochain « radicalisé » qui passera à l’acte.
Justement, la DGSI pense en avoir repéré un. Ses spécialistes chargés de scruter l’Internet islamiste ont dans leur collimateur G., un lycéen rennais de 17 ans. Le jeune homme rêve de partir faire la guerre en zone irako-syrienne, aux côtés d’Al Qaida. Renfermé, il vit seul avec sa mère et passe son temps sur Telegram. Une messagerie chiffrée prisée des politiques, des journalistes… Et des organisations terroristes.
Nom de guerre
G. ne poste pas sous sa véritable identité. Il utilise une kunya, un « nom de guerre » -le seul par lequel les djihadistes se connaissent. Dans un langage entrelardé d’argot arabe, il partage des messages violents, des images de propagande et des informations sur la Syrie. Mais G. a oublié les règles de prudence élémentaire. Ses 19 photos de profil sont accessibles au tout venant. Les images parlent d’elles-mêmes : des drapeaux de l‘organisation djihadiste Ansar al-Islam et de l’Émirat islamique d’Afghanistan, un « fuck », des photos de combattants… Il y a également une référence à al-Malhamah al-Kubra, la grande bataille de l’Apocalypse contre les Croisés, dont les terroristes se sont attribués la sinistre mission de paver la voie.
La DGSI a suffisamment d’expérience pour prendre tous ces éléments au sérieux. L’antiterrorisme mobilise plus des deux tiers de ses capacités. Notamment sa section T3 centrée sur l’islam radical. « La France est aujourd‘hui, clairement, le pays le plus menacé » 1, affirme Patrick Calvar, ancien des Renseignements généraux de Rennes et patron de la DGSI jusqu’en 2017. Le dossier de G. est donc transmis à l’échelon breton du service.
Sous haute surveillance
Le 20 décembre, la DGSI informe la section antiterroriste du Parquet de Paris. Une enquête préliminaire est ouverte. G. est passé à la moulinette des fichiers de police. Inconnu des services. En revanche, et c’est jugé très intéressant, le lycéen a fait une demande de passeport biométrique le 18 décembre. Soi-disant pour un voyage scolaire. Ça sent le départ imminent en Syrie.
Les enquêteurs placent l’immeuble du jeune homme sous surveillance. Une opération très classique. Les techniciens de la DGSI sont par exemple capables d’installer en quelques minutes une caméra autonome dans un détecteur de fumée ou un lampadaire. Avantage : le quartier de G., à deux pas du square Charles-Geniaux, n’est pas isolé. Si besoin, les enquêteurs peuvent le prendre en filature sans se faire « détroncher » par les habitués des lieux.
Théories du complot
Vu de l’extérieur, G. est un élève sans histoire, en première dans un lycée privé catholique rennais. Comme beaucoup d’ados, c’est un garçon taciturne et influençable. Issu d’une famille bretonne pas vraiment religieuse, il n’a jamais connu son père. Il a décroché de l’école vers 13 ans, au fil des nombreux déménagements de sa mère. Depuis, il apprend l’arabe. Il s’est converti à l‘islam au cours de l’année. Sans le dire à sa mère, à qui il parle à peine. Il porte parfois la djellabah et fréquente le Centre islamique voisin une fois par semaine. Rien de répréhensible.
Si G. ne fait pas de vagues, ses échanges en ligne sont plus inquiétants. Il y évoque des projets d’attentat. Ses recherches sur la Syrie l’ont entraîné dans une spirale de fanatisme et de théories du complot, où les « diables occidentaux » tiennent le sale rôle. Le garçon représente une proie parfaite pour les recruteurs d’Al Qaida. Ces manipulateurs aguerris vantent une vie syrienne fantasmée, où un jeune paumé trouvera une nouvelle famille.
Depuis, G. téléphone régulièrement à des contacts proches de l’islam radical, bien connus de la DGSI. Dont un fiché pour terrorisme. Il appelle aussi plusieurs jeunes femmes. Il propose à l’une d’elles de l’accompagner en Syrie, où il veut devenir « sniper ». Elle refuse et menace de mettre fin à leur relation. Ils ne se sont jamais vus, mais G. affirme qu’il veut marcher avec elle sur « le sentier d‘Allah ». Il souhaite accomplir « quelque chose de bien plus grand qui est de secourir (sa) religion dans cette période où les mécréants s’acharnent sur elle ».
Interpellation
Le 16 janvier 2018, G. est interpellé à son appartement. Pendant la perquisition, les policiers trouvent un sac à dos contenant des vêtements, une trousse de toilette et plusieurs centaines d’euros en liquide. Un papier récapitule des itinéraires sûrs pour se rendre en Syrie. Un véritable périple en train, en car et en avion, de Rennes à la Turquie en passant par Barcelone et Toulouse. Puis un « passage clandestin » vers la ville d’Idlib à l’aide d’un faux passeport. La fugue était imminente.
Ce qui retient le plus l’attention des enquêteurs est sans doute ce feuillet bizarre sur lequel G. a griffonné un plan du Roazhon park. Et une liste d’armes. Pour les policiers : pas de doute : il s’agit d’un projet d’attentat. Un véritable remake du Bataclan à la mode de Bretagne.
Estimation glaçante
Le plan indique la position des véhicules et des complices nécessaires ainsi que les temps de parcours. G. n’a visiblement ni les hommes, ni les armes, ni les moyens de mener cette entreprise. Mais, pour le reste, il a tout prévu : « Une voiture arrive, dépose quatre personnes devant le Stade Rennais et emprunte la poubelle pour y accéder. Une voiture arrive devant le bar L‘Équipe et le Carrefour City, dépose trois personnes direction le Carrefour puis trois autres personnes qui rafalent le bar ».
S’ensuit une estimation glaçante du nombre de victimes : « S.R (Stade Rennais, NDLR) : 40 idolâtres, Bar l’E. : 6/10 idolâtres, Carrefour : 10/15 idolâtres Total : environ 60 Idolâtres ». À présent, c’est aux techniciens de la DGSI de faire parler le matériel informatique saisi chez G. : trois ordinateurs, trois disques durs, une clé USB, cinq téléphones, deux lecteurs MP3.
Fabriquer une bombe dans la cuisine de votre mère
De nombreux fichiers ont été supprimés. Mais il existe pléthore de logiciels qui les feront remonter à la surface. En auscultant les données de G., la DGSI tombe sur trois dossiers contenant des photos aériennes et des plans d’accès au Roazhon Park. Ainsi que des fichiers aux titres évocateurs, comme « Attaques ciblées : tuer les collabos pour la politique de l‘État français contre le califat, guide du lion solitaire », une liste des zones du corps humain à privilégier lors d’une attaque au couteau, ou encore un manuel intitulé « Fabriquer une bombe dans la cuisine de votre mère » (sic).
À ce moment, la DGSI se souvient sans doute qu’un tas de canettes a été découvert sous le lit de G. Des objets banals dans une chambre de jeune… qui peuvent aussi servir à fabriquer des explosifs artisanaux. L’historique du navigateur révèle des recherches du type « attaque au gaz », « tuerie de masse », ou encore le mot « taqiya ». Celui-ci désigne, pour les fanatiques, la dissimulation de sa radicalisation par la ruse. Dans le cas de G., il s’agissait de participer aux activités scolaires et de maintenir des contacts sur Facebook.
Vidéos d’exécutions
Le téléphone contient plusieurs vidéos de propagande, dont des exécutions. Mais aussi des conversations édifiantes entre G. et d’autres radicalisés. Le lycéen leur affirme qu’il commettra un attentat en France, « un 13-Novembre, mais en mieux », s‘il ne parvient pas à partir en Syrie. Il faut dire qu’un obstacle de taille se dresse entre G. et le djihad : sa maman. Encore mineur, il ne peut pas disparaître sans qu’elle appelle la police. Pas grave.
À un contact, G. déroule son « plan » : « Faudrait qu’une personne fasse croire à ma mère, en gros, que je vais chez un ami, soit-disant (sic). La personne, elle se fait passer pour son père, et pendant un bout de temps, par exemple les vacances chez cet ami, je dois passer une semaine, alors que c’est pas vrai, je pars pour le shâm (…). Comme ça je ne suis pas recherché (…). Faut pas qu’on parte à la légère (…). On se rencontre tous à Paris, (…) on prend l’avion à quelques heures d’intervalles pour pas qu’on parte tous en même temps et qu’on se fasse choper… »
Une simple pulsion ?
Placé en garde à vue, G. est interrogé à cinq reprises, livrant à chaque fois des indices sur son profil et ses motivations. Au départ séduit par les thèses de Daech, il s’est finalement rapproché de leurs rivaux, le Front al-Nosra, affilié à Al Qaida.
G. soutient qu’il ne comptait pas réellement organiser un attentat. Le Roazhon Park ? Une simple « pulsion », selon lui. Les enquêteurs ne sont pas convaincus. Ces déclarations ne « matchent » pas avec les conversations Telegram où G. fait l’apologie des martyrs et de la violence. Quatre mois plus tôt, il affirmait encore qu’il fallait commettre « des attaques simultanées » contre des concerts ou des commissariats, afin de saturer les services de police et de secours. Durant les auditions, le lycéen plaide qu’il a juste voulu « faire le malin » et répète qu’il n’est pas « pour le meurtre ».
10 ans de prison
La DGSI a-t-elle fait capoter un futur attentat ? Ou ces plans n’étaient-ils que les délires d’un ado manipulé par de dangereux « amis » virtuels qu’il n’a jamais rencontrés ? Mis en examen, G. est transféré à la prison de Fleury-Mérogis. Puis à la maison d‘arrêt d’Osny dans le Val d’Oise. Avant de finir à Vezin-le-Coquet. Son procès a lieu du 30 novembre au 3 décembre 2021, à Paris, devant une cour d’assises des mineurs spéciale. Il est condamné à dix ans de prison.
Un deuxième individu, arrêté grâce à l’exploitation des éléments saisis dans le cadre de cette affaire, est condamné à six ans de détention. L’histoire ne s’arrête pas là. Dans sa cellule, G. a dissimulé un téléphone sur lequel il a continué de collectionner des milliers de fichiers de propagande djihadiste. Décapitations, chants guerriers… L’objet est découvert. Et, le 20 mai 2022, il vaut à G. d’écoper d’une peine de 18 mois supplémentaires.